Phénoménologie
de l'abus de pouvoir ordinaire et de ses suites judiciaires
(Invitation au séminaire du 25
janvier à 9h, 14e chambre du tribunal correctionnel de Paris, 4
boulevard du Palais)
Francis Chateauraynaud
2
janvier 2008
Après la nuit que j’ai passée en
garde à vue (12-13 juin
2007) dans une annexe du commissariat du 9ème arrondissement
à Paris, je tiens
à publier le récit et les observations qui suivent. Cette
garde
à vue (décision
relativement grave de la part d’une autorité judiciaire) a
été occasionnée par
un non-événement de circulation. Mais la qualification
pénale des faits veut
que je sois poursuivi pour avoir « sciemment refusé
d’obtempérer à une
sommation de s’arrêter » émise par des agents de
police. Etant sociologue, une
fois les premières émotions écartées, une
telle capacité de création de la
délinquance ne me surprend pas outre mesure. Mais j’en viens aux
faits …
lesquels sont d’une banalité affligeante bien qu’ils suffisent,
aux yeux du
Parquet, à faire de moi un dangereux délinquant (il n’y a
pas d’âge pour
débuter après tout !)
Le mardi 12 juin 2007 vers 21h30, après
être monté en métro
dans le nord de Paris pour y récupérer le véhicule
que j’avais prêté quelques
jours à une amie, je rentrais tranquillement vers Montreuil.
Manque de chance,
non loin de la place Clichy, j'ai été pris dans un micro
bouchon (c’est
apparemment
fréquent dans le quartier), un autocar de tourisme qui cherchait
visiblement la
place
Pigalle bloquant
ce qui ressemble à un rond-point. L'engin, immatriculé en
Allemagne,
était rempli de touristes émoustillés par leur
arrivée dans le quartier
chaud de Paname, et surtout me cachait la vue. De sorte qu'il m’a pour
ainsi dire
poussé dans un couloir de bus. Je me rappellerai longtemps de ce
croisement : il s’agit en effet de
l’endroit précis où
le couloir de bus du boulevard de Clichy passe subitement de la partie
droite à
la partie gauche de la chaussée ! On peut s’y rendre, le
spectacle est édifiant
: un véhicule sur deux fait une embardée pour reprendre
le bon couloir ; un véhicule
sur 8 est pris dans le couloir (et il s’agit de statistiques en
situation de
rond-point dégagé). Bref, un excellent piège
à con si l’on me permet
l’expression. Seuls les riverains ou les habitués peuvent
maîtriser un tant
soit peu ce genre d’agencement. Bon, la belle affaire ! J’ai
près de 30 ans de
conduite, pas un seul accident sérieux à mon actif,
très peu d’ « infractions
constatées », encore plein de points à mon permis,
je n’allais pas abandonner
mon véhicule au milieu de la chaussée et partir en
courant en proie à la
panique. Circulez c’est une erreur ! Un enchaînement de ce genre
doit pouvoir
se gérer sereinement ! Voilà en gros mon état
d’esprit sur le coup. Oui mais,
de l’extérieur ? « Espèce d’enfoiré hein, on
a bien l’impression que tu l’as
fait exprès, tu as voulu dégager plus vite hein ?
Chauffard ! »
Quand je pense que j’ai dirigé une
enquête et rédigé un rapport
sur l’expérience ordinaire de la sécurité
routière et que parmi les
arguments le plus souvent opposés à la répression
on trouve évidemment les problèmes d’aménagements
des espaces routiers ! Bon
enfin, ne mélangeons pas
tout n’est-ce pas !
Le monde
physique existe – même lorsqu’il découle d’une
construction sociale !
En l’occurrence, d’un point de vue physique, une
fois
embarqué dans le couloir, je n’avais pas d’autre choix que
d’aller jusqu’au
prochain croisement puisque ce couloir-là est
protégé – et je ne roule pas en
4X4. A la sortie
de la courbe,
j’ai aperçu des agents de police,
lesquels
regardaient dans la direction opposée (vers le nord).
Après tout je ne faisais que passer et j'avais la
ferme
intention de reprendre la bonne file ! Qui aurait
l’idée de
s’arrêter tant qu’on ne lui a rien signifié ? Lorsqu’ils
ont réagi, mon
véhicule les avait dépassé ; voyant une certaine
agitation dans mon
rétroviseur, j’ai alors fait un signe cherchant à
signifier que j’avais fait
une erreur et que je regagnais la file normale ! Las ! Ils ont
visiblement
interprété le signe comme un « bras d’honneur
» ! C’est ce que m’a dit un des
agents, entre deux « ta gueule, tu vas morfler mon salaud !
» dans la voiture
de police, ajoutant : « c’était quoi ce geste hein, en
plus tu as bu ! ». J’avais
effectivement bu une coupe de Champagne au cocktail de la
conférence Marc
Bloch à la Sorbonne, de
laquelle je revenais avant de récupérer ma voiture …
[Une description qui mêle l’avant, le
pendant et l’après,
l’interne et l‘externe, le comment et le pourquoi c’est difficile
à lire
n’est-ce pas ? Car plusieurs séquences se chevauchent, et pour
le lecteur
éloigné ça signe vite le délire … C’est une
des contraintes de ce genre d’aventure
: très vite on vous juge sur la forme de votre récit, pas
sur les éléments de
la situation ! Tout ceci est très socio-logique ! J’en reviens
donc à
l’enchaînement objectif des faits… ]
Ma voiture étant immatriculée dans
le 93, les
policiers n’ont
pas hésité et l’ont
illico prise en chasse
– ah ah mauvais calcul mon lascar tu pensais qu’ils étaient
à pieds ; ça t’a
fait bizarre de les voir surgir dans ton dos sirène hurlante !
Ben oui, après
quelques centaines de mètres, j’ai eu droit à ce qu’on
appelle une
"arrestation
musclée" . Le plus cocasse, en un
sens, c’est que je
me suis pris moi-même dans le piège. Car tout ce qui a
suivi a pris sa source dans ce joli moment spécialement
conçu
pour les cours de sociologie
interactionniste : lorsque face à la menace de deux pistolets
brandis par des
policiers particulièrement nerveux, j’ai reçu deux
injonctions simultanées «
bouge pas ! » / « descends de là ! » , j’ai
cru bon de dire : « je ne vais pas
pouvoir faire les deux en même temps ! ». Il faut l’avouer,
ce n’était pas une
bonne idée de la ramener, d’autant que j’avais
esquissé un geste afin de
couper la musique de jazz (c’était
Mal Waldron … ) en pensant qu’on allait parlementer
calmement. Or, c'est oublier que nous sommes en guerre contre le
terrorisme et que ce geste aurait pu me
permettre
d’atteindre une
kalachnikov cachée dans la boîte à
gants – il y a tellement de
flics qui se font flinguer en France ces dernières
années, on peut les
comprendre, non ? Et pendant qu’on me tirait violemment par le bras,
arrachant
la ceinture de sécurité au passage, j’ai entendu la
sentence : « toi tu vas
passer une sale nuit ! ».
Quand j’ai dit que j’étais «
fonctionnaire », un des flics à
l’avant du véhicule m’a dit « c’est ça et moi je
suis ministre de l’intérieur !
» … Sur le PV, je l’ai su plus tard, il est écrit :
« au vu de l’état d’euphorie
de l’individu qui tenait des propos incompréhensibles de
manière répétée, il a
été mis en sécurité » … Et
voilà donc le piège refermé sur ce pauvre intello
qui, comble de l’ironie, ne prend quasiment jamais sa voiture à
Paris !
Donc tout est allé très vite :
extraction brutale de mon
véhicule, puis menottes, insultes fines et variées,
alcootest (lequel a donné
l’invraisemblable résultat de
0.07 grammes ) ; et puis une authentique nuit d’enfer :
attaché
d’abord à un banc
pendant des heures, insulté pour avoir simplement tenté
d’engager la
conversation avec les clients du jour, puis fouille intégrale
(j’aurai au moins
pu montrer mon cul à des poulets une fois dans ma vie !), mise
en
cellule sans
rien à boire ni à manger, couché à
même le sol, sans évidemment rien sur soi à
part une chemise et un pantalon (prévention oblige…) … ; j’ai
longuement parlé
avec un jeune sénégalais, codétenu de
circonstance, soupçonné, injustement
selon lui, de « complicité de viol » (on l’accuse
d’avoir « tenu la porte et
surveillé les environs … », passons ). Ce garçon de
19 ans était fort
sympathique et avait besoin de parler, il m’a donc raconté sa
vie – on fait du
terrain comme on peut n’est-ce pas … Puis l’audition tant attendue est
intervenue à 4 heures du matin. Un « OPJ » fort peu
sympathique qui essayait
d’apprendre à taper sur un clavier tout en me posant des
questions, pas toutes
discrètes, a longuement insisté sur ceci : « dans
la vie il faut assumer ses
actes Monsieur Chateauraynaud ». Bonne idée en effet. Il
m’a aussi surpris en
me demandant : « les agents disent que vous rouliez à
grande vitesse, que
répondez-vous ? Ils sont assermentés comme vous savez …
» … ben oui je roulais
à 45 ou 50 km/h, soit la vitesse légalement
autorisée ; par rapport à des types
plantés sur un trottoir c’est très rapide en effet, mais
je n’allais pas lui
faire la liste des
problèmes pratiques que permet d’éclairer la
théorie de la relativité
… Il n’a pas
apprécié les
mots d’esprit dont j’ai usé, notamment quand il a
commencé à remplir le fichier
destiné au STIC
– mon sens de l’ironie me perdra. Bon, j’abrège. Il y
a eu la séance
de photos comme au cinéma et les empreintes digitales … l’
adn
, ce n’est pas encore pour les crapules de seconde
catégorie de mon
espèce … même si ça ne saurait tarder.
Détail piquant si j’ose dire, la cellule
que j’ai fini par
partager avec deux autres personnes, couchées à
même le sol, a été gazée vers 5
heures du matin pour faire taire le nouveau patient trop impatient,
lequel
hurlait quelque peu il est vrai, et demandait à être
libéré (n’importe quoi !),
mais avait surtout le tort d’être lui aussi d’origine africaine
et « déjà connu
des services de police ». Je n’ai évidemment pas dormi.
J’ai obtenu après plus
d’une heure de haute lutte qu’on me sorte de la cellule devenue
irrespirable et
j’ai retrouvé le banc et les menottes.
Le début de matinée a été long mais je dois
dire que
l’équipe du matin s’est révélée plus
courtoise que celle de la nuit. Et,
figurez-vous, j’ai eu droit à quelques biscuits !
J’ai finalement été libéré à
11 heures, avec une convocation
devant le Procureur de la République. J’ai mis une demi-heure
à ranger mes
affaires en vrac. On m’a remis les clés de ma voiture, qui
n’était pas à
l’emplacement indiqué et que je suis donc allé
récupérer comme il se doit à la
fourrière la plus proche (136 euros pour 2 heures, c’est
rentable).
Je passe sur quelques scènes intermédiaires avec
différents
protagonistes secondaires de ce psychodrame (avocat, greffier,
secrétariat du
commissariat que j’ai tenté de recontacter pour avoir le PV
d’audition, etc.).
Grâce aux « procédures alternatives », on
peut acheter son délit et continuer à vivre normalement
(une belle
idée
d’économiste pour rentabiliser la justice).
En septembre je me suis rendu à la convocation du
délégué du
procureur, dans les locaux de la section dite de « composition
pénale »
permettant le « traitement
en temps réel » des « procédures alternatives
». J’y allais en confiance : un
avocat m’avait dit : « il va vous faire un rappel à la loi
et puis ce sera
classé »… J’ai donc rencontré un homme proche de la
retraite, fort courtois
mais débordé et passablement fatigué. Après
avoir quelque peu compati, ironisé
et soupiré (« ah que voulez-vous on a embauché des
types qui jouent aux
cow-boys et à qui on dit de faire du chiffre, voilà le
résultat ! »), il m’a
demandé de signer un papier stipulant que je reconnaissais les
faits, ce qui me
permettait, honneur insigne, d’échapper au jugement : «
200 euros, l’affaire
est bouclée, c’est ce qu’il y a de plus simple entre nous, bon
vous avez un
casier naturellement, mais vu votre profession ça n’a pas
d’incidence ! ».
Après un délai de réflexion, j’ai refusé
cet arrangement. 200 euros c’est un
prix scandaleux pour une chambre sans lit et sans toilettes, même
dans le 9ème
arrondissement ! Surtout, il n’était pas question de
reconnaître les faits tels
que décrits par mes cow-boys………
Voilà où on en est. La nouvelle convocation est
arrivée par
huissier le 12 décembre 2007, lequel huissier, en bon
professionnel, a déposé
chez moi une lettre m’invitant à retirer une lettre RAR à
la Poste laquelle
contenait un avis indiquant qu’une convocation authentique avait
été déposée à
la mairie de Montreuil – où je me suis rendu pour la retirer. Au
document
officiel me précisant la date de l’audience dans la salle de la
14ème chambre
mais devant la 30ème chambre, était jointe une facture de
l’huissier. On me
précisait bien toutefois que je ne devais pas la régler
tout de suite. Il y
avait aussi une longue liste de documents à prendre avec moi le
jour de
l’audience – au cas où je serais condamné
!
Que faire
?
Le jugement du tribunal correctionnel aura donc
lieu le 25
janvier 2008, à 9h au Palais de Justice de Paris, 4 bd du
Palais. Je plaiderai
moi-même en me contentant de relater ma version des faits – je
l’avais déjà consignée
par écrit, sous une forme contrôlée par des amis
juristes (pas cette
version-ci) et adressée au Procureur dès la fin juin,
bien avant la première
convocation qui était fixée au 21 août (qu’est-ce
qu’on rigole en Sarkozie :
dans les parquets, on travaille plus pour punir plus, même
pendant les vacances
d’été !). Mais le délégué du
procureur n’a pas lu ce courrier. Lors de notre rencontre,
il a vaguement marmonné que la pièce était
associée au dossier mais n’avait pas
été numérotée … Des choses qui arrivent … A
quoi ça tient … Et puis bon, s’il
commence à lire la prose envoyée par tous les repris de
justice d’Ile de France !
Devais-je alerter les médias dès le
début de cette affaire ? J’ai
longuement
hésité mais j’ai préféré,
jusqu’à ce début janvier, ne rien publiciser. Il faut
dire que j’ai eu autre chose à faire et que j’ai tout mis en
œuvre pour éviter
de
ruminer cette histoire. Le pragmatisme
me contraint à adopter un « profil bas » le jour de
l’audience (le code prévoit
jusqu’à 3 mois de prison ferme pour le délit de refus
d’obtempérer…) et on m’a
prévenu que les procureurs et les juges parisiens ont du mal
avec les «
intellos », qu’il ne faut surtout pas les
énerver avec des
généralités…. Et, à vrai dire, passer pour
une victime typique du sarkozysme,
ça me gave, comme on dit dans le Sud. Je ne m’appelle pas
Guillaume Dasquier. Cela dit, il y a bien de quoi
s’interroger. C’est
pourquoi j’ai rendu accessible ce récit et ces quelques
observations. Je ne fais qu’user de ma liberté
d’expression. Si ça
tourne mal on avisera.
Quelle
leçon tirer de cette histoire ?
Mon cas peut être traité comme une affaire individuelle,
une
anicroche ou un malentendu ; mais il n’en reste pas moins que cette
affaire
s’est produite en juin 2007 et qu’elle était assez improbable
auparavant, du
moins sous cette forme. Allons droit au but : un régime policier
et autoritaire s'est installé tout en distillant dans de
multiples
milieux une
micro-terreur, assez difficile à politiser telle quelle – et qui
prend
forme elle-même sur des peurs et des aspirations diffuses. Je ne
pense
pas que tout vienne d’en haut et que le pouvoir de contrôle de l'omniprésident
élu en mai 2007 soit si puissant, on le
voit tous les
jours avec la ronde constante des dossiers et des tours de passe-passe
médiatiques. Mais, sa forme particulière de rapport aux
autres donne l’exemple et les pandores de base
ont besoin d’un modèle – tout le monde a été
sidéré par l’affaire du
Kärcher, celle de l’agression des paparazzi du lac de Wolfeboro ou
plus
récemment celle de l’échange virulent avec un
marin-pêcheur, donnant
l’image d’une petite frappe bien plus que d’un homme d’Etat. Dans ce
contexte, le fait d’être un
intellectuel aggrave son cas.
Ainsi, un ami m’a dit : « arrête, un truc comme ça
ce n’est pas possible, c’est
que tu les as provoqués, t’as voulu jouer à l’intello
plus malin, ça les a
chauffé, et pour eux tu es un lascar comme un autre, ils ont
voulu te donner
une leçon » (celui-là je lui apporterai volontiers
des oranges à l’occasion …).
La politisation ça passe aussi par l’accumulation
des cas. Il
suffit de
collectionner un peu les événements pour voir que les
abus
de pouvoir
se
multiplient.
C’est pourquoi, sans aller jusqu’à basculer dans la
dramaturgie
qui est souvent de mise dans les milieux militants ou activistes,
j’invite tous
les citoyens ayant encore un peu de bon sens et de goût pour la
liberté (et un
dégoût corrélatif pour la surenchère
sécuritaire) à une vigilance constante sur
la façon dont l’appareil policier resserre les mailles de ses
filets. Nous
devons refuser d'entrer dans le système asymétrique et
abusivement répressif
qu’on nous prépare. Ce n’est pas seulement parce qu’à la
prochaine anicroche on
dira de moi que je suis « connu des services de police »
que j’éprouve une
certaine inquiétude. C’est la transformation de notre sens de la
réalité qui
est en jeu. Un collègue m’a écrit dans un mail, sans
connaître les détails de
l’affaire : « je ne vois pas le rapport avec la politique
sécuritaire, tu as commis
une faute et tu dois la payer, quoi de plus normal ?». Le retour
de la morale
est une aubaine pour le nouveau système, évidemment – et
Sarko étant du genre
insatisfait, la morale doit même céder la place à
la religion ! A chaque fois
on lit « une limite a été franchie » … mais
le processus se poursuit. Pour ce
qui est de l’appareil
répressif, on ne voit pas comment faire machine
arrière, d’autant que
la plupart des acteurs sont eux-mêmes pris par la logique de ce
système
sécuritaire. Par exemple, même chez les journalistes
consciencieux quand on lit
le prédicat, forcément négatif, « connu des
services de police », on considère
que c’est de l’ordre de la factualité : c’est un trait qui se
lit comme un «
mauvais signe » et à toute interrogation on se verra
opposer : » quand on n’a
rien à se reprocher, on n’a pas peur de la police et des
contraintes de
sécurité … ». Pour dire les choses encore plus
crûment : voilà à quoi sont dressés
les petits cognes sous-éduqués qu’on a recrutés
pendant les années qui ont
précédé l’élection de leur chef :
élargir le cercle des primo-, proto-,
crypto-délinquants ; balayer les formes de régulation
ordinaires, sources de
contre-pouvoir (cf. la police de proximité ….). C’est pourquoi
il faut
impérativement reprendre le contrôle des interactions
ordinaires, dans la rue,
le métro, les lieux publics, les quartiers, les entreprises !
Face à des
situations de trouble ou d’anicroche somme toute ordinaires, il importe
de
défendre le droit à l’erreur, à la discussion,
à l'humour-ironie. Dans certains
contextes, il va falloir soutenir, pratiquer, revendiquer
l'insoumission. Et
bien sûr développer, même si ce n’est pas toujours
facile (on le voit dans le cas
dramatique des sans-papiers), la mobilisation collective. Si chacun
traite ses
affaires comme des anecdotes locales sans conséquence ou
gère sa propre
culpabilité, en la monnayant d’une manière ou d’une
autre, nous n’aurons plus
rien à opposer à la levée continue des
barrières de protection de l’ensemble de
nos droits civils.
Un grand merci à ceux/celles qui ont pris
la peine de lire
ce témoignage jusqu’au bout.
Francis
Chateauraynaud, le 2 janvier 2008
Communiqué adressé le 25
janvier à 12h45 à
mes amis et collègues, chercheurs-enseignants et doctorants
Bonjour,
je reviens du palais de justice, où s'étaient rendus pour
me soutenir une douzaine d'amis et de collègues que je remercie
de nouveau. Les journalistes informés ne sont pas venus,
ça se comprend, ce n’est pas non plus l'affaire de la semaine.
Je suis passé en premier. Outre la greffière et un
huissier, la présidente de la cour était seule, pas
d'assesseur. Elle bafouillait et n'articulait pas, on avait du mal
à entendre ce qu'elle disait. Il n'y avait pas beaucoup
d'affaires dont les "mis en cause" étaient présents et
c'est allé assez vite, les jugements ont été
rendus vers 11h15.
J'ai plutôt assuré lors de ma plaidoierie à la
barre - en tout cas c'est l'opinion des amis venus me soutenir. J'ai
seulement commis une erreur rhétorique, emporté par mon
discours, car au détour d'une phrase j'ai ajouté "et je
suis universitaire" pour signifier : "je respecte évidemment les
lois". Ce genre d'auto institution ça ne passe pas - sauf si
c'est un avocat qui le dit ; on a beau le savoir .... pour moi dire que
je suis "universitaire" ce n'est pas plus ou moins chargé que de
dire que je suis "turc", "sdf", "dépressif", comme les autres
clients du jour mais bon .... L'intello est basiquement
crédité de mauvaise foi.
Le procureur de la République a bondi et m'a coupé la
parole en s'exclamant : "le fait que vous soyez universitaire on n'en a
rien à foutre". Je l'ai mis en colère, mais j'ai
résisté et on s'est même engueulé - c'est
snob de se fritter avec un proc' ! Il a demandé 400 euros
d'amende pour l'exemple. Le type suivant, pourtant condamné
déjà n fois, n'articulant pas un mot et au bord des
larmes, a eu droit lui à un peu de commisération : en
clair faut pas la ramener.
J'ai finalement écopé de la même amende que celle
qu'on me proposait en traitement alternatif - 'composition
pénale' comme ils disent : soit 200 euros, avec 20 % de remise
si je paye dans le mois :-P et je n'ai pas d'inscription au
casier. J'ai donc bien fait d'aller en jugement. J'ai au moins pu
donner ma version de l'affaire. Je paye et c'est terminé pour
moi. Je reste évidemment fiché chez les flics. Le PV des
flics est incroyablement mensonger mais impossible de les contredire.
N'importe quel petit salaud en uniforme en entrant mon nom dans son
ordi aura droit à la description d'un grand délinquant.
Je suis tombé dans les stats annoncées par Serge
Portelli
qui dénonçait il y a déjà pas mal de temps
l'augmentation continue des gardes à vue et donc fatalement du
nombre d'abus. Mais l'objectif est clair, il faut
pénétrer plus profondément le corps social et
étendre l'emprise de la machine répressive en
interpellant, intimidant, fichant, culpabilisant …
L'ami de Bolloré a construit une ceinture de petits et gros
menteurs assermentés que la justice ne remettra en cause que
pour faits graves - genre grosses bavures et encore ...
Mon affaire est close mais la lutte continue : je suis en contact avec
des assoc pour monter un comité de veille et d'entraide contre
les gardes à vue abusives.
Je tiens à recueillir un maximum de témoignages
de gens
qui ont été malmenés par la police , les
renvoyer
vers l'instance de Marlowe en planque à l'étranger, puis
en fonction des résultats, envoyer à différentes
instances et organiser des manifestations diverses - au moins quelques
séminaires sur ce thème l'an prochain, etc.
Je suis preneur de toute collaboration. Il est urgent d'engager un peu
de travail politique de fond !
Bon week-end
je file à l'AG de l'EHESS sur le déménagement dans
le nord de Paris qui promet elle aussi quelques émotions
FC